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Les aménagements dangereux : voies cyclables et virages à droite au feu rouge

L'établissement du virage à droite au feu rouge au Québec, au début des années 2000, a permis de mettre au diapason les dispositions routières du Québec avec celles du reste de l'Amérique du Nord. S'il est vrai qu'au final, cette manœuvre est souvent spécifiquement interdite pour beaucoup d'intersections, un nombre non négligeable de croisements permettent un tel virage. En quoi cela peut-il être dangereux pour les cyclistes? Ce billet tente de répondre à cette question par l'exposition de différentes situations réelles où la sécurité des cyclistes est mise à mal par l'autorisation du virage à droite au feu rouge.

Cas général

De manière générale, le virage à droite au feu rouge ne pose pas de problème particulier aux cyclistes, du moins lorsque l'automobiliste effectuant cette manœuvre respecte le Code de la sécurité routière (CSR). Pour rappel, celui-ci autorise le virage à droite au feu rouge de cette façon :

Malgré l'article 359 et à moins d'une signalisation contraire, le conducteur d'un véhicule routier ou d'une bicyclette peut, face à un feu rouge, effectuer un virage à droite après avoir immobilisé son véhicule avant le passage pour piétons ou la ligne d'arrêt ou, s'il n'y en a pas, avant la ligne latérale de la chaussée sur laquelle il veut s'engager et après avoir cédé le passage aux piétons engagés dans l'intersection de même qu'aux véhicules routiers et cyclistes engagés ou si près de s'engager dans l'intersection qu'il s'avérerait dangereux d'effectuer ce virage.

Les automobilistes ne respectant sciemment pas la priorité des cyclistes circulant sur la voie ayant un feu vert étant, de mon propre aveu, l'exception[1], concentrons-nous sur l'autre aspect problématique : le respect de la ligne d'arrêt. Beaucoup d'automobilistes mordent voire dépassent la ligne d'arrêt pour mieux voir s'ils peuvent effectuer le virage à droite. Malheureusement, cette façon de procéder a souvent pour effet de les faire empiéter sur l'extrême droite de la voie croisée, et, par le fait même, sur la trajectoire des cyclistes. Contrairement aux automobilistes, ces derniers ne disposent pas d'une énorme marge de manœuvre lorsqu'il s'agit d'éviter un véhicule provenant de la droite.

Notons que ce problème n'est pas unique au virage à droite au feu rouge, puisqu'il apparait également aux arrêts obligatoires, feux rouges, et, plus généralement, à tout endroit pourvu d'une ligne d'arrêt. Je ne m'étendrai pas donc trop sur le sujet ici, pour plutôt me concentrer sur les cas où le virage à droite est réellement dangereux.

Vélo-Boulevard

Après avoir zigzagué entre les arrêts obligatoires des petites rues résidentielles et traversé un parc pour enfants, le Vélo-Boulevard arrive sur les terrains du Collège Bellevue. Évidemment, comme à l'habitude, il eut été trop simple de penser à un itinéraire efficace et sécuritaire. Voici donc ce que les cyclistes voient : IMG_20140829_110358.jpg

Le début de la piste cyclable est marqué par un poteau rouge, ce qui permet de la repérer facilement sur la photo. Le pictogramme tracé sur la chaussée indique clairement d'aller au feu de circulation puis de tourner à gauche sur la piste, puisqu'il n'y a aucune traverse cycliste dans le terre-plein central. Cela m'amène à soulever deux interrogations :

  1. Pourquoi diable avoir fait le choix absolument inefficace d'amener les cyclistes jusqu'à l'intersection et le feu de circulation interminable alors qu'on voit sur la photo qu'il aurait été très facile de prolonger la piste cyclable le long de la rue afin de permettre aux cyclistes de s'y engager en tournant à gauche avant l'intersection?
  2. Observons la situation du point de vue d'un automobiliste roulant sur le Chemin Ste-Foy et désirant tourner à droite :

IMG_20140829_110622.jpg On remarque que le virage à droite au feu rouge n'est pas interdit. Maintenant, posons-nous la question : en tant qu'automobiliste voulant tourner à droite, est-ce que vous vous attendriez à ce que votre trajectoire coupe celle d'un cycliste arrivant sur son feu vert? C'est pourtant bien le cas : en tournant à gauche dans sa piste cyclable, le cycliste se trouve à croiser votre route, puisque sa piste cyclable est située avant le Chemin Ste-Foy, derrière l'arrêt d'autobus... Soyons honnêtes : personne ne va envisager cette possibilité (sauf à la limite un cycliste chevronné et habitué du trajet).

Nous ne parlons donc pas ici d'un cycliste commettant une infraction au CSR et se mettant par le fait même en danger; nous parlons d'une situation où respecter le CSR est dangereux. Pourquoi? Parce que lors de la planification et de la construction de cette piste, personne n'a réfléchi au fait que la sécurité du croisement pouvait être tout à fait déficiente compte tenu des nouveaux aménagements. Il semble en fait que personne ne s'est simplement posé la question, puisqu'il existe deux solutions évidentes et faciles au problème : prolonger la piste de quelques dizaines de mètres vers le sud, en suivant la rue tel que mentionné plus haut, ou interdire le virage à droite au feu rouge.

Rappelons qu'il ne s'agit pas d'un aménagement temporaire ou d'une piste cyclable empruntée au maximum par 2-3 perdus annuellement les années bissextiles; non, il est question du tracé définitif du Corridor Père-Marquette!

Mise à jour (11 décembre 2015) : il semble que ce croisement ait été modifié. Pas parce que la ville s'est soudainement réveillée non, parce qu'un cycliste probablement exaspéré a fini par prendre le temps de faire une demande complète en ce sens. Bref, bonne nouvelle (et merci à ce cycliste dévoué), mais... ça ne pourrait pas arriver, juste pour une fois, que la ville remarque et corrige ce genre de situations elle-même?

Corridor des Cheminots / Henri-Bourassa

Un autre bon exemple de l'implantation négligente du virage à droite au feu rouge nous est donné par l'intersection entre le Boulevard Henri-Bourassa et la 22e rue. C'est aussi à cet endroit que le Corridor des Cheminots (une des pistes les plus achalandées et populaires de la région) traverse le boulevard. Le tout est présentement (septembre 2014) en travaux – nous reviendrons sur ces travaux et leurs impacts sur la circulation cyclable, d'ailleurs – aussi j'utiliserai une image de Google StreetView datant de 2012 pour illustrer le croisement en question : hbourassa_22e.png

Comme on peut le constater, du point de vue des automobilistes circulant en direction nord sur Henri-Bourassa, la piste cyclable arrive de la droite et traverse le boulevard à l'intersection. Cette traverse est règlementée par un feu piétonnier obligatoire pour les cyclistes.

Avez-vous observé que le virage à droite était permis sur la 22e rue? Si oui, vous êtes-vous demandé ce qui se produit lorsqu'un cycliste veut passer sur son feu alors qu'un automobiliste souhaite en même temps tourner à droite? La réponse est : des problèmes en perspective... Oui, certes, le document d'information de Transports Québec sur le virage à droite au feu rouge prodigue bien de sages conseils tels que :

Regardez dans votre rétroviseur droit et vérifiez aussi votre angle mort droit pour vous assurer qu'il n'y a pas de piétons ou de cyclistes.

En pratique, bien peu de gens pensent à considérer l'arrivée d'un cycliste (qui se déplace bien plus vite qu'un piéton) avant de prendre la décision d'effectuer le virage. Le résultat : une intersection dangereuse, propice aux accrochages et aux accidents. J'ai personnellement été témoin de deux de ces incidents; bien que cela constitue une information à caractère anecdotique, il faut admettre que le croisement est dangereux tant que l'automobiliste ne redouble pas de vigilance lors de son virage (et chacun sait que tous les automobilistes sont vigilants dans ces situations...). Pourtant, encore une fois, le virage à droite reste permis à cet endroit depuis des années, alors même, notons-le bien, qu'il n'apporte pas grand-chose de plus, la durée du feu rouge sur le Boul. Henri-Bourassa étant minime.

Conclusion

Ce billet présente deux exemples de mauvais aménagements, particulièrement en ce qui concerne le virage à droite au feu rouge. Le fait que ces deux exemples fassent partie d'axes cyclables majeurs montre bien qu'il ne s'agit pas seulement d'un oubli motivé par la faible importance accordée à la conception d'une intersection mineure, mais bien d'une analyse de la sécurité des croisements cyclables systématiquement déficiente, voire absente. De plus, ces exemples ne sont pas tirés d'aménagements datant de dizaines d'années, où l'excuse des normes d'une autre époque pourrait être retenue. Ce manque de sécurité, c'est malheureusement une réalité avec laquelle les cyclistes doivent composer quotidiennement, malgré les vœux pieux de la ville de Québec, qui soutient depuis 2008 Aménager un réseau cyclable continu, intégré et sécuritaire pour tous.[2] Il serait peut-être temps, au-delà des belles formules de relations publiques, de s'intéresser à ce qu'est réellement un croisement sécuritaire pour les cyclistes et à en tirer les conclusions qui s'imposent sur les aménagements existants et à venir...

Notes

[1] Exception excessivement dangereuse, toutefois, remarquons-le...

[2] Plan directeur du réseau cyclable de la ville de Québec

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