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Les escobars montréalais sont-ils gérables?

Il y a quelques mois, j'ai écrit un billet sur les automobilistes dangereux, ceux qui, pour d'absconses raisons, ont décidé que les cyclistes méritaient (au minimum) la mort pour avoir osé penser que les routes puissent aussi être utilisées par d'autres véhicules que les automobiles. Je n'ai pas grand-chose à rajouter sur ce sujet précis, mais j'aimerais revenir sur cette haine latente des cyclistes présente chez certaines personnes. Dans certains cas, comme ceux évoqués dans le précédent article, les propos sont tout simplement scandaleux et absurdes. Toutefois, dans beaucoup d'autres cas, les idées sont véhiculées de façon plus insidieuse. Si cela rend certes la forme de l'argumentation plus agréable et moins sujette à critique, le discours sous-jacent n'en reste pas moins ridicule. Dans ce billet, je réponds à une lettre (j'aurais plutôt tendance à dire un brûlot, mais ça, c'est seulement mon opinion) publiée dans le journal Le Devoir, le 20 juillet 2015, intitulée Les cyclistes montréalais sont-ils gérables?

Négocions un peu la loi, voulez-vous?

D'entrée de jeu, on commence fort avec le sous-titre :

D’accord pour partager la route avec eux, mais à six conditions

Bon. Première chose importante : dans une société de droit telle que la nôtre, un individu ne peut pas poser des conditions au respect des lois. Je ne peux pas déclarer "D'accord pour ne pas voler la propriété d'autrui, mais à six conditions" -- pour être précis, oui, je peux le dire grâce à la liberté d'expression, mais certainement pas l'appliquer et encore moins en faire la base d'un argumentaire...

Bien entendu, chacun peut juger qu'un règlement ou un article de loi est déraisonnable, inapplicable ou stupide, et poser des actions légales pour voir ce dernier amendé ou révoqué. D'ailleurs, mes lecteurs auront noté que je ne m'en prive pas dans ce blogue. Dans tous les cas cependant, tout raisonnement qui se base sur une prémisse du type "je ferai X quand vous ferez Y" n'a pas beaucoup de poids (ça vaut pour les cyclistes aussi, soit dit en passant)...

Bref, passons sur ce sous-titre, disons qu'il a été mal formulé.

Mais quand va-t-on responsabiliser ces fichus cyclistes?

Le premier paragraphe commence ainsi :

Depuis quelques années, on presse instamment automobilistes et cyclistes de partager la route. Mais il semble qu’on ne demande qu’aux automobilistes d’assumer cette responsabilité. Pourrait-on aussi responsabiliser les cyclistes ?

Ah... la responsabilisation des cyclistes, l'argumentation favorite du sophiste anti-vélo qui souhaite passer pour un sage progressiste désireux d'augmenter le bien-être de tous. Sémantiquement parlant, elle est effectivement difficile à prendre en défaut : qui voudrait être contre la responsabilisation des gens? C'est un peu comme écrire : pourrait-on cesser de polluer l'air que nos enfants respirent? Personne ne peut réellement être opposé à ces affirmations, mais, de par ce fait même, la quantité d'information qu'elles véhiculent est parfaitement nulle.

Actuellement, c’est le free-for-all.

Bien franchement, à chaque fois que je vais à Montréal en automobile, j'ai l'impression que toute la circulation dans la ville est un "free-for-all" général. Mais c'est peut-être seulement mon esprit d'habitant de région aussi éloignée que barbare qui parle, aussi passons à la suite.

Les cyclistes n’ont aucune obligation et ils font à peu près ce qu’ils veulent et quand ils le veulent [...] par qui est commise la majorité des infractions les plus criantes aux règlements de la circulation à Montréal ?

Premièrement, de jure, il est simplement erroné de dire que les cyclistes n'ont aucune obligation. Pour le reste, j'aime bien ce genre de "question-dont-toute-personne-sensée-connait-la-réponse". Compte tenu des différentes observations que j'ai faites sur le comportement des automobilistes, je suis partagé de mon côté..

Je ne connais pas beaucoup d’automobilistes qui grillent fréquemment les feux rouges, ne respectent systématiquement pas les panneaux d’arrêt, empruntent souvent à contresens les rues à sens unique et roulent régulièrement sur les trottoirs. C’est pourtant le cas d’une grande partie des cyclistes montréalais.

Pourtant, moi je connais beaucoup d'automobilistes qui ne respectent pas les limites de vitesse, passent sur les feux jaunes alors qu'ils auraient pu s'arrêter, ne respectent systématiquement pas les panneaux d'arrêt (je rappelle qu'un arrêt devrait être complet; pas 10 km/h, pas 2 km/h, un arrêt complet), ne respectent pas la priorité des autobus, ne respectent systématiquement pas les passages piétonniers et les lignes d'arrêt, se stationnent à des endroits interdits par le Code de la Sécurité Routière, etc... Moi aussi, je peux énumérer toute cette liste, puis demander la "responsabilisation" des automobilistes.

Les cyclistes ont des droits, bien sûr,

Ouf, on commençait à en douter...

mais ils devraient aussi accepter les responsabilités qui en sont le corollaire.

Encore une fois, comment parler pour ne rien dire : droits et responsabilités ne veulent rien dire en termes législatifs. Il n'y a pas de section dans le CSR intitulée "Droits des cyclistes" et une autre "Responsabilités des cyclistes". Simplement une suite d'articles auxquels il faut se conformer dans la mesure du possible (par "dans la mesure du possible", je veux simplement dire qu'il y a des situations où la violation d'un règlement peut être justifiable, voir par exemple cette excellente réponse, elle aussi parue dans Le Devoir).

La solution est simple, pourtant!

Comme toujours dans ce genre de brûlot, l'auteur en arrive ensuite à une liste de mesures qui, s'il faut en croire son discours, règleraient tous les problèmes et feraient de Montréal une ville dont même les Calinours seraient jaloux.

Je suggère donc les mesures suivantes, qui ont pour but de les responsabiliser davantage et qui, si adoptées, en feraient des usagers plus respectueux des lois et avec qui il serait enfin agréable de cohabiter.

J'aime bien quand même la fin de la phrase : "avec qui il serait enfin agréable de cohabiter". Vous imaginez si ce genre de propos étaient transposés à d'autres situations? Je suggère donc les mesures suivantes, qui, si adoptées, feraient des [insérer groupe ethnique ici] des citoyens plus respectueux des lois et avec qui il serait enfin agréable de cohabiter. Ou alors : je suggère donc les mesures suivantes, qui, si adoptées, feraient des [insérer orientation sexuelle ici] des citoyens plus respectueux des lois et avec qui il serait enfin agréable de cohabiter. Je suis le seul à trouver ce genre de propos horriblement tordu? Déjà, ils présupposent que les cyclistes forment un groupe homogène et, dans ce cas-ci, tous irresponsables. Par ailleurs, vu la fin de la phrase, que sont les cyclistes actuellement, à en croire l'auteur? De la vermine? Une nuisance urbaine à éliminer?

Bref, on prend de grandes respirations et on passe aux recommandations à proprement parler :

1) Immatriculer les cyclistes

Que toutes les bicyclettes soient immatriculées, comme les véhicules automobiles. Ainsi, en cas d’accident, les propriétaires pourraient être retrouvés. De même, s’ils étaient blessés et n’ont pas de papiers, il serait plus facile de communiquer avec leurs proches.

Comme je l'ai déjà expliqué dans un précédent billet détaillé sur le sujet, les cyclistes ont déjà été immatriculés à Montréal, mais la mesure a été retirée lorsqu'il est devenu patent que c'était à la fois inutile, complexe et restreignait l'usage du vélo. D'autre part, en cas d'accident, même avec une voiture, il est rare que la victime ait le réflexe de prendre le numéro de plaque du véhicule ayant causé l'accident. À moins d'un témoin idéalement placé, on peut donc oublier cela. Le bon sens fait aussi remarquer que quoi qu'il en soit, ce genre de plaque ne serait pas très utile avec les vélos libre-service que l'on retrouve un peu partout maintenant, de même qu'avec les prêts de vélos entre personnes...

L'auteur essaie par la suite de justifier cette mesure comme bénéfique pour les cyclistes puisqu'elle permettrait de mieux les identifier en cas d'accident, tout cela supposant bien sûr 1) que le cycliste soit blessé assez gravement pour ne plus pouvoir communiquer, 2) qu'il ne soit accompagné par personne de sa connaissance, 3) qu'il n'ait aucun papier sur lui et 4) qu'il n'utilise pas un vélo loué ou libre-service. Ça fait beaucoup de conditions pour une mesure dont les conséquences négatives toucheraient au bas mot 1 million de personnes à Montréal...

Bref, c'est gentil de penser à nous, mais... non.

2) Permis de conduire obligatoire

Que les cyclistes détiennent un véritable permis de conduire [...]. On l’exige des automobilistes, alors pourquoi pas des cyclistes, qui assument les mêmes risques et peuvent être à l’origine d’accidents aussi graves ? Imposons au cycliste les mêmes exigences qu’à l’automobiliste. Un cycliste qui risque de perdre son permis de conduire deviendra sans doute un cycliste plus prudent et plus respectueux des lois.

On s'enfonce dans le sophisme... Premièrement, non les cyclistes n'assument pas les mêmes risques que les automobilistes, et représentent un danger incroyablement moins grand, comme je l'ai déjà démontré. Oui, bien sûr, on peut toujours inventer un scénario abracadabrant où un cycliste coupant la route d'une automobile causerait, par ricochet, un méga-carambolage et des millions de morts (parce que, voyez-vous, dans ce carambolage, il y aurait un camion transportant du gaz, qui exploserait juste à côté d'un autre poids lourd rempli d'essence, lui-même à côté d'un convoi spécial transportant 10 tonnes d'uranium enrichi et de plutonium). De ce point de vue là cependant, la même chose peut arriver à cause d'un hibou -- ou, plus prosaïquement, d'un piéton -- et je n'entends pourtant pas d'appel à forcer les piétons (ou les hiboux) à détenir un permis de "conduire"... En résumé, les prémisses de ce paragraphe sont tout simplement fausses.

Pour ce qui est du reste, l'auteur de la lettre sera heureux d'apprendre que les cyclistes commettant des infractions voient les points d'inaptitude associés se répercuter sur leur permis de conduire. Ceux qui n'ont pas de permis de conduire voient néanmoins un dossier être ouvert à leur nom à la SAAQ en vue d'appliquer ces points d'inaptitude s'ils font une demande de permis. Finalement, mon côté zoïle me donne envie de dire que ce ne sont pas les permis de conduire qui empêchent certains automobilistes de rouler à tombeau ouvert et, plus généralement, de se comporter comme des imbéciles...

3) Assurance obligatoire

Que tous les cyclistes souscrivent à une assurance « automobile », peu onéreuse cependant, comme les autres usagers de la route. S’ils ont à l’origine d’un accident, leur dossier routier pourrait en être affecté, leur faute serait portée à leur dossier, ils seraient tenus responsables de leurs actes et les autres usagers de la route pourraient être dédommagés après entente entre leurs assureurs respectifs.

Ouf, on entre vraiment dans les bas fonds de l'argumentation biaisée ici... Par quoi commencer?

D'abord, je l'ai déjà expliqué au point précédent, mais un cycliste ayant un permis de conduire voit son dossier affecté (et donc sa prime majorée) s'il commet une infraction. S'il est impliqué dans un accident sans avoir commis d'infraction, j'espère que vous aurez la décence de considérer que ce n'est pas à son dossier d'en être affecté...

Par ailleurs, je ne sais pas d'où vient cette idée saugrenue, mais puisque je la vois régulièrement resurgir, réglons le dossier une bonne fois pour toutes : les cyclistes sont responsables de leurs actes et peuvent être tenus de dédommager les autres usagers de la route. On appelle ça la responsabilité civile (et oui, avant qu'on me le fasse remarquer, les cyclistes peuvent aussi être tenus responsables au criminel, mais c'est une autre question qui n'a pas de rapport ici puisque l'on parle de dédommager la victime). Si un cycliste vous frappe et que sa responsabilité est avérée, il doit déjà vous dédommager. Pas besoin de mesure révolutionnaire pour ça...

4) Formation obligatoire

Que tous les cyclistes suivent un cours, même léger, de conduite automobile. Plusieurs n’ont pas de voiture et n’ont aucune notion de ce qu’est la circulation automobile, son flux, son rythme, ses règles les plus élémentaires. Il faut, bien sûr, critiquer l’automobiliste qui, en tournant à droite, heurte un cycliste qui, venant sur sa droite, a voulu poursuivre tout droit. Mais le cycliste aurait-il pu anticiper, pour sa part, le mouvement de l’automobiliste ?

Ça ne s'améliore guère... Je commencerais par rappeler que jusqu'en janvier 2010, les cours de conduite (tant théoriques que pratiques) étaient optionnels au Québec. Certes, les examens étaient obligatoires, mais en aucun cas les cours. Pourtant, je ne me rappelle pas avoir entendu beaucoup de gens dire que "les automobilistes n'ont aucune notion de ce qu'est la circulation automobile, son flux, son rythme, ses règles les plus élémentaires"...

Par ailleurs, ça devient une habitude, mais je le précise quand même : la seule affirmation qui peut sembler objective dans ce paragraphe est fausse. En 2010, selon Vélo-Québec, il y avait 731 000 cyclistes à Montréal, alors que la SAAQ recensait, pour la même année, 986 000 permis de conduire enregistrés sur la seule île de Montréal (région administrative 06). Je doute donc qu'il y ait tant de cyclistes majeurs sans permis de conduire...

Troisièmement, ce genre de mesure (tout comme les trois précédentes d'ailleurs) est tout simplement ridicule, à moins de vouloir réellement interdire la pratique du vélo aux enfants. Vous vous rappelez lorsque vous avez appris à faire du vélo avec votre père (ou votre mère) courant derrière vous pour vous rattraper? Votre première randonnée jusqu'au bout du monde (ce qui, à 6 ans, équivaut grosso modo à 3 km)? Eh bien maintenant il faudrait, selon les recommandations avisées de l'auteur de la lettre, que vous ayez, préalablement à tout cela, souscrit une assurance, payé un permis de conduire, immatriculé votre vélo et suivi un cours de conduite. À 6 ans. Oui. Dura lex sed lex. Il n'y a que moi qui trouve ça un tantinet ridicule, surtout à l'heure où la sédentarité chez les enfants est de plus en plus problématique?

Finalement, le paragraphe se termine en beauté par un magnifique exemple du rejet de la faute sur les cyclistes. L'automobiliste qui coupe un cycliste est "critiquable" (et non à responsabiliser, on le note bien, il a une plaque et un permis lui, il l'est forcément déjà), mais après tout, le cycliste aurait tout de même pu prévoir ça. À bien y penser, c'est tout de même de la faute du cycliste, non? Je ne suis pas favorable à un cours de conduite pour les cyclistes, mais une chose est sûre : toute personne (cycliste ou automobiliste) soutenant ce genre de propos a définitivement besoin d'un cours de conduite...

5) Équipement obligatoire

Que tous les vélos soient équipés d’un feu avant et d’un feu arrière puissants pour être bien vus en tout temps. Les feux actuels sur les vélos sont tout au plus une mauvaise blague.

Je tiens d'abord à dire que pour la première fois, je suis presque d'accord avec une interprétation libérale d'une sous-partie d'une phrase en particulier de cet auteur. C'est à célébrer. Je suis d'accord sur le fait qu'un cycliste circulant la nuit doit avoir des feux (avant et arrière) -- c'est d'ailleurs la loi. Un cycliste sans lumière la nuit est un cycliste invisible. Je sais que ça parait exagéré de dire ça, mais vraiment, faites l'expérience : placez-vous sur le bord d'une piste cyclable la nuit et demandez à un ami de passer sans lumières, vous comprendrez ce que je veux dire.

Ceci étant dit, ce paragraphe reste rempli de mauvaise foi. Premièrement, parce que les cyclistes n'ont pas besoin de tels feux pendant le jour contrairement à ce que laisse entendre l'auteur. Deuxièmement parce que les feux "actuels" sur les vélos sont au contraire très adaptés : la pratique du vélo urbain ne requiert pas de phare augmentant la visibilité du cycliste, mais de feux permettant aux autres usagers de repérer le cycliste. De ce point de vue, des feux clignotants blanc et rouge, même à une intensité relativement faible, sont parfaitement adéquats.

Par ailleurs, l'utilisation de feux trop brillants en ville pose au contraire problème. D'abord, parce qu'ils sont totalement inadaptés à la circulation sur une piste cyclable, où les cyclistes des deux directions sont très rapprochés. Rien de plus énervant pour un cycliste de se retrouver complètement aveuglé par un autre qui vient en face de lui. Ensuite, parce que de telles lumières réduisent la capacité des autres usagers de la route à évaluer la vitesse et position du cycliste, même en pleine rue. Lorsque vous êtes ébloui par un phare, il n'est pas facile d'estimer la position exacte d'un vélo, dont la surface visible est nettement inférieure à celle d'une automobile ou même d'une moto.

En bref, la seule chose que l'on apprend dans ce paragraphe, c'est que son auteur n'a aucune idée de ce qu'est le cyclisme...

6) Répression

Que des sentences sévères, mais justes, semblables à celles qu’on impose aux automobilistes, soient infligées à tout cycliste transgressant un règlement de la circulation, quel qu’il soit.

Ah voilà enfin une mesure révolutionnaire! Encore une fois, qui peut se porter à l'encontre de sentences justes? Le qualificatif le dit, elles sont justes, vous ne pouvez tout de même pas être contre quelque chose de juste!

J'en ai déjà parlé plus haut, mais puisque l'auteur insiste là-dessus, oui, je suis prêt à ce que des sentences sévères, mais justes me soient infligées, semblables à celles qu'on impose aux automobilistes qui transgressent un règlement de la circulation, tel que les limites de vitesse, les arrêts obligatoires, les passages piétonniers, les lignes d'arrêt, les feux jaunes, la priorité des autobus, etc...

Et on conclut en beauté

La lettre se termine finalement ainsi :

Dans ces conditions, et à ces seules conditions, je veux bien, moi, partager mes trajets montréalais avec des partenaires routiers qui seraient soudainement devenus beaucoup plus disciplinés et respectueux des lois.

Malheureusement pour le pauvre automobiliste persécuté qu'est l'auteur, ce n'est pas à lui de poser des conditions (je sais c'est triste, ce serait plus simple si nous étions tous dictateurs... hum attendez...). Moi aussi, je peux jouer! Je peux aussi bien dire : "J'exige de recevoir une banane en guimauve de tout automobiliste me dépassant, et que tous les camions soient remplacés par des aéroglisseurs crachant des bulles de savon. Dans ces conditions et à ces seules conditions, je veux bien, moi, partager la route". D'accord. Merci d'avoir appelé. Mais, pour parler franc, on s'en fiche de "vos" conditions.

Vous devez partager la route, c'est écrit dans cette loi que vous tenez en si haute estime. C'est le comportement que devrait adopter tout automobiliste responsable, discipliné et respectueux des lois (vous voyez, moi aussi je peux jouer avec le mot "responsable"...). Comme je ne peux vous imaginer autrement que responsable, discipliné et respectueux des lois, le problème devrait être réglé, non?

Le problème sous-jacent

Derrière tous ces articles pamphlétaires, ces discours enflammés appelant à la "responsabilisation des cyclistes", ces lettres plus remplies de sophismes que le discours d'un politicien, il y a une constante : l'hypocrisie.

Ce que les gens tels que l'auteur de la lettre veulent fondamentalement, c'est qu'il n'y ait pas de cyclistes sur les routes. Que ces dernières (re?)deviennent le domaine exclusif de l'automobile, la prérogative des moteurs et des transmissions. C'est précisément ce discours, cette mentalité sous-jacente, la véritable raison de leur acharnement à défendre (selon eux) la loi, l'ordre et la justice que j'aimerais entendre de leur bouche. Au final, et je m'adresse à vous, chers anti-cyclistes, vous vous fichez comme de l'an 40 que les cyclistes paient une plaque ou non, qu'ils aient à souscrire une assurance ou pas, qu'ils s'arrêtent pied à terre à un arrêt obligatoire au lieu de passer à 2 km/h après avoir cédé à tous ceux qui avaient la priorité, ou qu'ils soient tous équipés d'un projecteur de chantier en guise de phare. Non, tous ces faux tollés ne sont que des excuses, c'est la présence même des cyclistes qui vous agresse in fine. Quand bien même que, demain, tous les cyclistes respecteraient toutes les clowneries que vous osez appeler "mesures de responsabilisation", vous trouveriez autre chose à redire à leur propos. Le simple fait que les cyclistes existent et osent prétendre à une place sur la route vous met, dans le meilleur des cas, mal à l'aise, dans le pire carrément en colère.

Mais alors, ça veut dire qu'on ne peut pas critiquer les cyclistes?

La réponse brève à cette question est : bien sûr qu'on peut. Bien que je considère fermement que cette réponse suffise, explicitons tout de même quelque peu. Supposons que vous êtes de bonne foi, et que vous voulez dénoncer le comportement de certains cyclistes -- et non fantasmer sur votre société idéale où tous les cyclistes auraient tous des colliers électriques capables de délivrer des décharges (dans un but de responsabilitisation évidemment, on ne peut pas être contre la responsabilisation après tout). Vous pouvez commencer votre texte/lettre/pamphlet/diatribe comme ceci :

Les cyclistes n’ont aucune obligation et ils font à peu près ce qu’ils veulent et quand ils le veulent, souvent au détriment des autres usagers de la route. Car, par qui est commise la majorité des infractions les plus criantes aux règlements de la circulation à Montréal ? [...] à la base et avant tout, il y a un énorme problème de comportement des cyclistes montréalais.

Ou alors comme ceci :

Chers desperados du vélo,

Oui, oui, vous qui pédalez en fous, c’est à vous que je m’adresse. Vous qui n’avez aucune considération pour le Code de la sécurité routière. Vous qui ne respectez aucune loi sinon celle du talion. Vous qui faites si mal à la réputation des cyclistes. [...] Je suis tanné d’avoir à répondre de vos comportements déviants. Tanné d’être sur la défensive à cause de votre irresponsabilité. Tanné d’avoir à répéter que les adeptes du vélo ne sont pas tous d’incorrigibles délinquants de la route.

Y en a marre. Les piétons en ont marre. Les automobilistes en ont marre. Et vous l’ignorez peut-être, mais la majorité des cyclistes en a marre elle aussi. Le vélo a gagné en maturité au cours des décennies, il est temps que vous en fassiez autant.

Ou bien ainsi :

Cyclistes, ne nous faites pas honte!
Alors que la quasi totalité des organisations cyclistes lutte pour faire de nos villes des entités « intelligentes » où chacun des usagers de la route peut avoir sa place;
alors que trop de moments tragiques ont récemment dessinés les contours des réalités urbaines actuelles;
alors que la grande majorité de la population et des pouvoirs publics semble prendre fait et cause pour le nécessaire changement de paradigme que nous avons tous à vivre;
alors qu’elle commence à comprendre que nous vivons sous des règles désuètes en la matière,
il est grand temps pour nous tous, membres de la communauté cycliste, parties prenantes de la société dans son ensemble, de montrer l’exemple lorsque nous le pouvons.

Remarquez-vous la "légère" différence entre le premier texte (extrait de la lettre enflammée sur laquelle porte ce billet) et les deux autres (l'un de François Cardinal, de La Presse, l'autre de la coalition "Une porte, une vie")? Le premier texte parle "des cyclistes", de "l'énorme problème de comportement des cyclistes", pose des questions sophistiques ("qui commet la majorité des infractions les plus criantes?") ou réclame des mesures sans queue ni tête aux cyclistes. Les deux autres, au demeurant tout aussi directs, sont limpides : si vous êtes un cycliste et que vous roulez de manière dangereuse, sans vous soucier des autres, alors ce texte s'adresse à vous. Et si vous êtes ce genre de cycliste, alors arrêtez, parce que vous nuisez à votre propre cause et aux autres cyclistes. C'est simple, clair, et je ne vois rien de sérieux à redire à ces deux derniers textes. Contrairement au premier, rempli de sous-entendus et de menaces latentes et prétendant porter sur un sujet donné -- le partage équitable de la route -- alors que l'auteur s'efforce désespérement de passer un tout autre message -- pas de cyclistes sur la route -- les deux autres textes sont directs et délivrent leurs messages sans faire de détours.

Bref, à ceux qui voudraient dénoncer des comportements liés aux cyclistes sans se retrouver objet d'une chronique vitriolique sur ce blog, nul besoin de grands mots compliqués ou de formulations alambiquées pour écrire un texte pertinent : rien que de l'honnêteté. Il y a des choses à dénoncer chez les cyclistes, mais n'allez pas croire qu'il est impossible de lire entre les lignes et de distinguer un texte visant à dénoncer ces comportements d'un texte fondamentalement anti-cycliste...

 

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